Alexis Carlier : de la musique au vélo jusqu’en Afrique

Du vélo et des notes

  • mercredi 6 avril 2016

À l’ombre des grandes courses connues de tous, certaines épreuves cycliste sont moins médiatisées et… plus atypiques. Elles font la fierté d’une région, d’un pays. C’est le cas du Tour du Guatemala notamment, ou encore du Tour du Cameroun, qui a eu lieu du 12 au 20 mars dernier.

À cette occasion, nous avons rencontré celui qui a terminé à la deuxième place de la course : Alexis Carlier, coureur au Martigues Sport Cyclisme. Cet entretien est rythmé par sa deuxième passion : la musique.

 Après avoir fait un très beau début de saison en France (à noter une belle deuxième place lors du Souvenir Jean Masse), tu es parti avec ton club vers des aventures totalement différentes. Comment ton équipe a-t-elle validé sa participation au Tour du Cameroun ?

Il s’agit d’une entente avec une équipe du Cantal ; tous les coureurs étaient de Martigues mais deux accompagnateurs étaient d’Auvergne et connaissaient bien l’organisation de la course. Notre directeur sportif (Hristo Zaykov) a pu nous décrocher cette sélection grâce à cette bonne entente. (Enfin il me semble que c’est ça !)

  • Quels ont été les préparatifs avant un tel voyage ? (Niveau vélo, santé, logistique…)

Tour d’abord, il y a bien sûr le vaccin pour la fièvre jaune à réaliser minimum dix jours avant le départ, puis un traitement contre le paludisme à prendre la veille du départ, durant tout le séjour puis une semaine après le retour. Il faut ensuite prévoir tout un tas de médicaments au cas où les choses se compliqueraient là-bas, car il est difficile de trouver de quoi se soigner comme il faut. En particulier tout ce qui traite la digestion, les inflammations et les infections. Pour le reste, il a fallu s’adapter au jour le jour aux conditions des hébergements et des transports.

  • Étais-tu déjà parti aussi loin ?

Oui, j’ai déjà voyagé en Martinique, en Guadeloupe et en Floride. Mais jamais sur le continent africain et jamais aussi loin pour une course de vélo !

  • Comment as-tu vécu la course de l’intérieur au fil des étapes ?

Ça a été difficile et huit jours de courses, c’est toujours long et délicat à gérer. Bien sûr, le vélo c’est une affaire de jambes mais la vraie explication se fait souvent dans le final ou encore seulement dans les étapes difficiles. Auparavant, il y a tous les aléas et les pièges de la course à encaisser. Sur certaines étapes, en fait le but était simplement de survivre et de ne pas perdre de temps, dans l’éventualité d’une future explication les prochains jours. Il faut y être pour se rendre compte, mais c’est très difficile mentalement de devoir faire face à ça quand on joue le classement général sur une course. On a l’impression sur ce genre d’étape qu’on a tout à perdre et rien à gagner. On tente juste de conserver ce qui est déjà acquis.

Pour ma part, la première étape était assez difficile, la chaleur a évidemment désavantagé les européens qui n’avaient pas encore eu le temps de s’acclimater ; sans oublier les jambes lourdes à cause de la longueur du voyage ; j’y perd 2min40s. La deuxième étape nous a offert une pluie tropicale dantesque que je ne suis pas prêt d’oublier. La troisième étape (justement je parlais d’étape où le seul but était de survivre) fût la plus compliqué pour moi, 180 kilomètres avec de fortes chaleurs, pluie, chemins de terres…
Il a fallut attendre la sixième, l’étape reine, pour pouvoir reprendre du temps. J’y termine deuxième et reprends 1min40s. Sur la dernière étape, par le jeu des bonifications je reprends une dizaine de secondes et monte sur la deuxième marche du podium avec le maillot blanc de meilleur jeune en prime.

J’étais vraiment très en forme en fin de Tour, dommage qu’il ne restait pas une étape de montagne supplémentaire, je pense que j’aurai pu faire mieux… mais bon c’est déjà bien !

  • Point de vue ravito, comment adapter la nourriture africaine pour un cycliste ?

Il faut se préparer au fait que tout usage d’eau induisant un contact directement ou indirectement avec la bouche se fera par l’usage de bouteille, en vérifiant bien au préalable que cette dernière était bien fermée avant de l’entamer. Pour la douche, il faut fermer la bouche afin d’éviter le plus possible que de l’eau non potable soit avalée.
Il faut également éviter tout produit cru (crudités, fruits, viande), les conditions de conservations ne sont pas garanties et on ne sait jamais comment cela a été rincé et / ou lavé.

  • Quelles sensations as-tu ressenti en roulant au Cameroun ?

C’était dur bien sûr, mais j’ai apprécié quand même le paysage, les parcours et surtout le public. Il y  avait  des  milliers de  personnes chaque jour et une ovation assez incroyable, on sentait vraiment que c’était le Tour national, quelque-chose de très important et de grand pour eux là-bas. On avait l’impression d’être regardés comme des champions et des héros, c’était vraiment cool !

  • En dehors du vélo, qu’est-ce qui t’a le plus marqué ?

J’ai été marqué par la population hors des villes, on y voit une multitude de maisons en terre et en matériaux de récupération, des enfants habillés de tissus sales et troués, des femmes faisant la lessive avec leurs voisins dans le ruisseau du coin… la pauvreté et la misère poussée à l’extrême. Mais ce que j’ai trouvé incroyable, c’est de voir autant de joie et de sourires sur leurs visages, comme si tout allait bien. On sent vraiment une grande différence avec la misère de chez nous où les pauvres gens ont souvent l’air définitivement abattu…
En tout cas, je me suis vraiment rendu compte que j’étais un véritable privilégié sur cette Terre en voyant tout ça. Cela fait réellement relativiser et prendre du recul sur nos petits problèmes européens du quotidien. Je pense que cela ferait un bien fou à des millions de personnes de séjourner là-bas pour se rendre compte à quel point nous faisons partie de la classe sociale privilégiée.

  • Une anecdote à raconter ?

Lors de la troisième étape (celle de 180 kilomètres avec la pluie et les chemins de terres), le final glissait tellement que même en ligne droite, faux plat montant, assis sur la selle, la roue arrière patinait à chaque coup de pédale. J’ai cru que j’avais crevé et je l’ai crié à mon équipier, Nathan Pernot. Ce dernier a compris que c’était lui qui avait crevé ! Par conséquent nous nous sommes arrêtés tous les deux et on s’est rendu compte qu’en fait, tout allait bien pour nos pneus ! Heureusement j’ai réussi à revenir dans le groupe mais mon dieu quel stress !

  • Après un retour difficile, comment te sens-tu à présent ? Quels sont tes prochains objectifs ?

Le retour a été exceptionnellement mouvementé et fatiguant : nuit blanche en avion pour le retour, attentats de Bruxelles dans l’aéroport le lendemain (gros stress, panique). 36 heures à rester sur place dont 15 bonnes heures à rester debout et à attendre longuement des informations. Un retour en train perturbé par le heurt d’un animal et un retour à domicile à deux heures du matin. Au final, cela a fait quatre jours sans pouvoir rouler et sans aucune récupération après huit jours de courses extrêmes. J’ai terminé plus fatigué après les attentats qu’après le Tour du Cameroun.

La reprise a été très difficile et aujourd’hui encore, je ne me sens pas bien du tout, il va me falloir du temps pour retrouver de bonnes sensations et jongler entre récupération et maintient de l’entraînement pour ne pas perdre tout ce qui est acquis, tout en récupérant progressivement la forme.

  • En plus du vélo, il y a la musique…

Et oui, c’est une passion aussi grande que le vélo, même si j’y passe actuellement moins de temps puisque je suis dans l’âge de faire du sport (21 ans) et c’est maintenant qu’il faut essayer de réussir, après il sera trop tard !
Je suis chanteur et pianiste, le piano me servant essentiellement à m’accompagner même si j’ai un bon niveau aussi avec cet instrument. En fait, je fais rarement l’un sans l’autre.
Ma voix est celle d’un baryton-basse, une voix de poitrine (celle avec laquelle on parle) plutôt grave donc, mais je possède également une voix de tête assez développée (la voix qu’utilise Mika par exemple), qui me permet d’aller chercher des notes aigues. Par conséquent, ma tessiture s’étend sur environ 3,5 à 4 octaves.
J’ai appris tout seul de manière autodidacte, puis j’ai fini par prendre des cours (chant et piano) afin de m’améliorer et de corriger mes défauts. Seul on a tendance à adopter quelques tics et à s’égarer. Il faut faire attention à ne pas imiter les autres et à chanter avec sa propre voix.

  • Est-ce qu’il t’arrive de chanter en roulant ?

J’ai honte de le dire mais oui ! Parfois des gens me surprennent et j’ai honte sur le coup ! Ensuite, cela me fait bien rire et je me dis qu’après tout, cela me correspond tout à fait ! Bon pour l’instant, je n’ai encore jamais chanté dans un peloton pendant une course et je pense que je vais continuer à m’abstenir !

  • Où trouves-tu tes inspirations ?

Mes inspirations sont diverses, j’ai appris à chanter et à jouer du piano en écoutant Mika au début de sa carrière (ce qui explique ma voix de tête aigue que j’ai réussi à conserver durant ma mue).
J’ai une affinité avec la musique classique et les musiques de films, en particulier celles à connotations épiques et fantastiques, les montées lyriques…
Je suis  également un grand fan de Muse et de Matthew Bellamy, le leader du groupe. Il compose des morceaux en mélangeant tous les styles (certains intègrent des parties pop, rock, hard rock, musique classique, opéra…) je trouve ça génial et ça me procure milles et unes émotions !

Merci à Alexis pour toutes ces précisions. Voici son dernier enregistrement : une reprise de Bohemian Rhapsody (Queen). D’autres vidéos sont disponibles sur sa page Facebook.

Nous lui souhaitons une belle saison rythmée, et avant tout une bonne récupération.

Rédigé par

Natacha Cayuela - Coordinatrice pour cyclistes

Passionnée de vélo depuis ses dix ans, Natacha est la fondatrice du site qui ravitaille le cyclisme. Elle est également l'auteur du roman La Bonne échappée, où l'univers de la Petite Reine est mis à l'honneur.