Les nouveaux défis de Pierre Idjouadiene

Au delà du coureur professionnel

  • vendredi 23 avril 2021

Une carrière cycliste peut avancer comme un long fleuve tranquille, avec des hauts et des bas, des instants de gloire et d’autres plus délicats. Un coureur peut se fondre dans la masse du peloton comme cumuler les bons de sorties, c’est selon.

Puis il y a les reconversions, certaines étant très réussies à l’image de celle de Guillaume Bonnafond ou encore d’Armindo Fonseca, fondateur d’O’Pôle.

Par cette nouvelle recette, allons à la rencontre d’un très jeune retraité. À seulement 25 ans, Pierre Idjouadiene a quitté les sentiers battus pour partir à la découverte de nouveaux chemins, à son image et toujours à vélo. Il va nous raconter la route qu’a pris sa vie et son destin qu’il prend en main.

 

Photo : Sam Coulon

 

~ Préface ~

Bonjour ! J’aimerais citer une phrase d’Antoine de Saint-Exupéry : « Si tu diffères de moi, mon frère, loin de me léser, tu m’enrichis »

 

~ Précédemment ~

J’ai commencé le vélo tout petit. Je parle de vélo et non de cyclisme, car l’histoire débute avant tout sur deux roues et sans dossard sur le dos. Le début, c’est ça : un petit vélo, des sorties avec mon père et mon grand-père maternel, sur la route ou dans les chemins, avec à chaque fois l’image d’un petit apéro-goûter en cours de sortie.

Mon père m’offre mon premier vélo de route en 2009 (un Cannondale Caad 3 bleu du début des années 2000). Après avoir côtoyé la joie de vivre des cyclotouristes en FFCT, je prends en 2011 ma première licence FFC dans mon club de cœur : Neuves-Maisons Cyclisme. De suite, l’esprit de compétition m’attire et la quête de performance me motive à aller rouler toujours plus autour de chez moi, dans la campagne Nancéienne. En mars 2011, je suis cadet 1 et je rentre dans le cercle très fermé des coureurs qui gagnent leur toute première course ! C’était à Frignicourt. La catégorie cadet est très fleurie pour moi, je ramène presque chaque dimanche un bouquet de fleurs de podium à ma mère.

En junior, en 2013, je découvre les prémisses du haut niveau avec la B’twin U19 Racing Team et plus tard en 2014 les rangs de l’équipe de France Junior. Ces deux années sont folles ! Je commence à voyager pour le vélo (Croatie, Suisse, Espagne, Luxembourg, Belgique, Allemagne) et les gares françaises n’ont bientôt plus aucun secret pour moi. J’obtiens en juillet 2014 la médaille de bronze aux championnats d’Europe sur route Junior à Nyon en Suisse, quelques semaines seulement après l’obtention de mon Bac S.

À la rentrée de septembre 2014, je rentre en école d’ingénieur à l’INSA de Lyon et débute mon double projet à haut niveau (scolairement et sportivement). J’intègre le CC Etupes en Espoir 1, fleuron du cyclisme amateur français. Viennent alors deux années de progression douce, mais difficiles. Je suis confronté à la dure réalité des grandes études et de la carrière de sportif de haut niveau. Je suis suivi par l’équipe pro FDJ, mais je n’y arrive pas. Vient alors la période des choix : arrêter le vélo ? changer de domaines d’études ? Je choisis la passion et privilégie le vélo : je change de voie et me voilà en licence de géographie. C’est clairement plus cool. Je peux m’entraîner à ma guise, comme un semi pro.

Mais voilà… en décembre 2016, je perds mon meilleur ami Etienne Fabre dans un accident en montagne. J’étais là. Je suis marqué et ma vie prend ce jour un tournant nouveau. Je décide de vivre, et je nomme le mot PLAISIR au centre de mon équilibre. Dans ma tête il y a un déclic : je veux faire carrière dans le vélo pour moi, pour Etienne.

L’année 2017 qui suivra sera sans nulle doute la plus prolifique dans ma carrière amateur. Je gagne le Circuit des 4 Cantons – Souvenir Etienne Fabre : ma plus grande émotion sur un vélo. Puis, bien entouré par mes coéquipiers du CC Etupes, j’obtiens six autres succès dont les Jeux de la Francophonie en Côte d’Ivoire avec l’équipe de France U23.

À la fin de l’année 2017 et après de nombreux contacts infructueux dans d’autres équipes, je signe mon premier contrat pro dans l’équipe Roubaix Lille Métropole.

 

~ En rose et noir ~

Durant ma première année, je vis mon rêve. Me voilà pro avec tout ce que ça implique : les médias, le matériel, le salaire, le gros calendrier, le fait de ne vivre que du vélo. Bien-sûr, tout est relatif, je suis qu’en Continental : je suis très loin des conditions de travail des équipes World Tour, mais je vois tout ce qui m’arrive comme un bonus exceptionnel. Jusqu’en 2017, je rêvais de passer pro, mais je n’y croyais pas ; maintenant je le suis !

Je découvre mes premières courses sur le GP La Marseillaise. Je découvre aussi le niveau pro, qui est bien plus relevé que je ne le pensais. Ma première échappée sur la deuxième étape de l’Étoile de Bessèges me propulse sur les écrans de l’Équipe 21, mais je subis le lendemain un méchant retour du bâton : je suis cramé ! En parallèle du maillot de Roubaix, Pierre-Yves Châtelon me donne le rôle de capitaine de l’équipe de France U23 et je participe entre autre au Tour de l’Avenir et aux Championnats d’Europe.

Cette saison sera marquée par mon maillot de Meilleur grimpeur sur les 4 Jours de Dunkerque. Juste après avoir signé mon second contrat, on m’annonce que l’équipe va couler suite au départ d’un sponsor. Me voilà confronté à la dure réalité de la précarité du métier de coureur cycliste professionnel. Nous sommes tous pendus aux bons désirs des partenaires et collectivités. Finalement l’équipe est sauvée fin novembre, tout va rentrer dans l’ordre.

La seconde saison, en 2019 apparaît pour moi comme celle de la confirmation. Les dirigeants de Roubaix ont confiance en moi, et je suis souvent protégé sur les coupes de France. Il me manque à chaque fois un petit quelque chose pour aller jouer la gagne. Je suis abonné aux Top 20 mais n’arrive jamais à approcher le podium. Je découvre alors la frustration. Je travaille mais je n’y arrive pas. Je suis parfois découragé, déboussolé aussi par le niveau des autres coureurs. Je connais quelques moments de doutes, et j’avoue avoir longtemps cherché au sein de mon équipe du soutien de la part du staff.

Le problème quand on est en Conti, c’est qu’on n’est pas accompagné. Il n’y a pas d’entraîneur, pas de diététicien, pas de préparateur mental, pas de kiné ni d’ostéo… On doit se débrouilleur seul. Je mets en place des choses pour m’entourer de personnes de confiance et partir en stage perso ; mais je suis rattrapé par la réalité : avec 1400 euros net on ne va pas bien loin. Je commence à regarder l’assiette des coureurs des grandes équipes et me dit qu’ils ont de la chance de pouvoir s’entraîner dans de super conditions ! Après tout, ils ne sont pas beaucoup plus forts que moi. Je peux réussir, je dois réussir, je dois montrer que j’ai ma place au niveau supérieur !

Je pars alors en stage en altitude en août 2019, et en redescendant je connais six semaines de top condition ! J’enchaîne les top 15 et me montre chaque weekend jusqu’à la fin de saison. Ce ne sera pas suffisant, je n’ai pas d’autres pistes et je signe mon troisième contrat à Roubaix.

Le début d’année 2020 est marqué par une nouveauté : la Tropicale Amissa Bongo au Gabon. Cette année pas de stage en Espagne, on attaque direct par une grosse course en Afrique ! Quel plaisir de voyager de nouveau, de connaître de nouvelles cultures. Et quelle extase de ramener la victoire au classement général avec Jordan Levasseur ! C’est clairement mon meilleur souvenir chez les pros. Je monte en puissance lors du mois de février et me prépare à partir trois semaines en stage perso en altitude en Sierra Nevada en mars. La veille de mon départ pour ce qui devait représenter le plus gros investissement dans ma carrière pour la performance, on nous annonce le confinement national. Déception, désillusion.

Je passe les deux mois du confinement chez mon père, dans la Creuse. J’ai pris les baskets, je laisse l’home-trainer dans le garage (ce n’est pas fait pour moi ce truc). Course à pied, un peu de VTT, bricolage dans la grange de mon père et espaces verts rythment ce confinement. Ce retour aux choses simples mais essentielles de ma vie sont comme une méditation. Je médite, je réfléchis, beaucoup. En tant que français, nous avons la chance d’avoir droit au chômage partiel, mais quid de l’après ? Comment vont se relever les équipes ? Comment et quand vont s’organiser les courses ? Je suis de nouveau confronté à la précarité de ce métier : et si nous ne reprenons pas les courses avant la fin de saison, Roubaix va-t-elle survivre ? Je me renseigne sur des formations et me projette déjà dans l’après vélo pour anticiper l’année 2021. Je deviens lucide et pragmatique, mais je n’en perds pas ma joie de vivre. Surtout, j’ouvre les yeux : le vélo me manque mais pas les courses. Bizarre.

On reprend la route en mai, et en juin je me blesse bêtement suite à une chute en VTT. Dix jours d’arrêt et les questions qui se reposent. Je retourne en altitude en juillet avec l’objectif de préparer la reprise de la saison. J’en fais clairement trop ! J’attaque le mois d’août déjà fatigué et je me fais clairement défoncer sur les premières courses. Je ne prends plus de plaisir, je commence à voir le diable partout : dans les poches des coureurs, dans leurs comportements, dans leur méchanceté… Bien-sûr, ils ne sont pas tous comme ça ! Mais c’est l’ambiance générale qui m’ennuie et m’irrite. En plus, il n’y a plus de partage avec le public à cause des gestes barrières, j’adorais ça avant…

C’en est trop ! Fin août, je n’ai pas encore pris de décision mais je le sais déjà : j’épinglerai mon dernier dossard dans les prochaines semaines : sur Paris-Camembert.

 

Photo : Sam Coulon

 

~ Transition ~

Le déclic de ma fin de carrière s’est fait mi-septembre, trois jours après le Tour du Doubs. Je me rends avec ma copine dans les Alpes pour me lancer dans un parcours exigeant : les Sept Majeurs. Ce ne sont pas tous les pros qui font ce genre de défi : 365 kilomètres et 11000 mètres de dénivelé. Je reçois beaucoup de félicitations et quelques critiques, mais je retiens surtout les premières ! Je prends goûts aux aventures, et je découvre l’ennui sur les courses de vélo auxquelles je participe.

Début juillet 2020, j’ai vu passer une annonce sur les réseaux à propos d’une formation DEJEPS qui se montait à Besançon. Je vois ça comme mon nouveau projet et je contacte d’office Boris Zimine (le directeur sportif d’Etupes) pour faire mon alternance au club. J’ai mon projet ! La transition entre ma fin de carrière et ma vie professionnelle est toute trouvée. En fait, il n’y a pas eu de transition. Je n’ai pas eu le temps de souffler après mes dernières courses, j’ai passé un mois à faire des papiers administratifs et je me suis lancé en novembre dans ma nouvelle formation.

 

~ Nouvelle vie à la fois similaire et différente ~

Ma nouvelle vie est encore une fois tournée autour du vélo. La seule différence, c’est que je ne suis plus coureur et je vois ça comme un luxe. Je prends énormément de plaisir à faire ce que je fais aujourd’hui. Que ce soit la partie assistant (préparation des repas, des ravito, des bidons, massages, etc), la partie entraîneur ou la partie encadrement et direction sportive, tout me plaît ! Je suis bénévole au CC Etupes actuellement, mais je compte bien vivre de ma passion encore plusieurs années.

J’aime le contact avec les espoirs du club et j’adore partager avec eux mon expérience. J’ai l’impression qu’ils écoutent et qu’ils apprécient d’être encadrés par Boris Zimine et moi (qui avons une carrière à peu près similaire).

J’apprends énormément en relations humaines, et je découvre à quel point il faut s’engager physiquement et dans le temps pour que les jeunes soient dans les meilleures conditions possibles. Quand on est coureur, on ne se rend pas vraiment compte du travail du staff. En tout cas, c’est bon de retrouver le cyclisme amateur, qui est sans nul doute un cyclisme de passionnés qui ne comptent pas leurs heures. Staff, coureurs, bénévoles, personne ne se plaint ; chez les pros c’était différent.

 

Photo : Sam Coulon

 

~ Loin des routes fréquentées ~

En parallèle de tout ça, j’ai monté avec quelques copains une association tournée autour du gravel. J’ai découvert le gravel il y a deux ans, inspiré par les américains comme Lachlan Morton. J’adore les notions d’aventure et d’absence de chrono qui se dégagent de sa pratique.

Quand je pars en gravel en forêt ou en montagne, je ne sais jamais quand je vais rentrer, combien de temps je vais marcher à côté du vélo dans la neige, si je vais me perdre, être en fringale, quels animaux je vais rencontrer… En fait le gravel, c’est la galère ! Mais une galère saine et magnifique ; c’est pour ça qu’on a créé l’association avec les copains. On aura certes une dimension compétition, mais c’est avant tout pour rigoler et marcher dans les ronces. On a de belles perspectives d’évolution, et de gros projets qui arriveront cet été. À suivre…

Suite aux Sept Majeurs, j’ai également pris goût aux longues distances. Aujourd’hui je roule moins qu’avant, mais les grandes épreuves me font rêver et j’ai hâte d’accrocher mes premiers dossards sur des courses comme BikingMan ou la Race Across France. Le covid a bien retardé mes objectifs sur ces épreuves, mais je compte bien me faire plaisir cet été !

 

~ Vers un horizon ensoleillé ~

J’ai énormément d’idées en tête et je me rends compte que je suis assez sollicité. Je ne pensais pas que ma reconversion serait aussi active dès la première année, mais c’est tant mieux ! Je serai diplômé en novembre, mais je souhaite enclencher directement sur une formation supérieure pour devenir entraîneur expert et chef de projet.

Je vois l’avenir avec un bon œil et je suis le maître de mes idées. J’aimerais pouvoir garder un pied dans le haut (voire très haut) niveau, tout en développant un cyclisme plus démocratisé et sous le signe du bien-vivre. Les deux prochaines années seront charnières pour ma vie professionnelle, je mets tout en œuvre pour profiter de chaque opportunité qui s’offre à moi.

Sur ma vie personnelle, j’ai aussi de gros projets. Je suis jeune mais j’engage le pas sur pas mal de changements avec ma compagne. C’est assez grisant de construire des choses à deux.

En somme, je suis vraiment heureux d’avoir mis un terme à ma carrière sportive. Je découvre tellement d’autres choses et je ne m’ennuie plus. Je suis fier et heureux d’avoir pris cette difficile décision l’année dernière.

 

Prochainement : de nouvelles aventures…

 

 

Merci à Pierre Idjouadiene pour nous avoir partagé son parcours avec détails et sans tabou. On te félicite pour avoir suivi tes choix et tes préférences avec intuition et on te souhaite de très belles nouvelles aventures à vélo, près du monde pro comme loin des chemins trop empruntés. À bientôt pour la suite !

Rédigé par

Natacha Cayuela - Coordinatrice pour cyclistes

Passionnée de vélo depuis ses dix ans, Natacha est la fondatrice du site qui ravitaille le cyclisme. Elle est également l'auteur du roman La Bonne échappée, où l'univers de la Petite Reine est mis à l'honneur.