Les Histoires de Yacine Chalel

Chapitre 1 - Printemps 2021

  • samedi 17 avril 2021

Au début de l’automne dernier, nous avions concocté une recette copieuse en compagnie de Yacine Chalel, où des saveurs d’ici et d’ailleurs ont été partagées avec passion. C’est avec plaisir que nous retrouvons le coureur algérien, qui évolue désormais sous les couleurs d’Orléans Loiret Cyclisme, toujours en jonglant entre route, piste et bien plus encore.

 

Photo : Noémie Morizet

 

 

  • Bonjour Yacine, re-bienvenu à toi dans nos fourneaux ! Pour débuter notre précédente recette et résumer ta situation telle qu’elle était, tu avais opté pour le titre du film « Demain est un autre jour ». En cette période printanière rimant de nouveau avec confinement, quel titre de chanson résumerait bien ton état d’esprit actuel ?

Bonjour Natacha, ravi d’être de retour en cuisine avec toi. Si je devais choisir un titre de chanson, ce serait « Fais avec » de Josman. C’est ce que m’a appris le sport de haut-niveau d’une façon générale et qui s’applique encore plus durant cette période compliquée ; le fait de devoir s’adapter continuellement et de faire du mieux possible non pas avec des conditions idéales ou parfaites mais avec l’environnement réel dans lequel nous évoluons au moment présent.

 

  • Ta saison a débuté sous de nouvelles couleurs. Parle-nous de ton choix de rejoindre le club d’Orléans Loiret Cyclisme.

Lorsque j’ai quitté le Paris Cycliste Olympique en octobre dernier, j’ai été contacté par plusieurs équipes en division nationale qui recherchaient un coureur capable de gagner, notamment sur des sprints. J’ai été à l’écoute de l’ensemble des projets qui m’ont été proposés mais celui d’Orléans me paraissait être le plus en phase avec ma façon de voir le vélo.

J’avais aussi très envie de travailler avec Renaud Dion (ancien coureur professionnel) qui est le directeur sportif et qui m’a tout de suite convaincu par son professionnalisme et par son caractère très posé. Nous avons une équipe solide, avec des cadres capables de briller mais aussi avec des jeunes coureurs très prometteurs qui sont physiquement et mentalement très forts.

Nos objectifs sont avant tout les manches de Coupe de France N2 et le Tour du Loiret qui se déroule sur nos terres, mais avec le contexte actuel, chaque victoire est bonne à prendre. Celle de Guillaume Monmasson à Touchay suivi de la deuxième place de Nicolas Toulouse à Saint-Marcel nous ont vraiment mis en confiance et nous a montré que tout le travail effectué en amont a porté ses fruits. Sportivement, il y a une vraie émulation qui se crée et je suis sûr qu’elle nous amènera au plus haut lorsque la période s’éclaircira.

 

Photo via la team Orléans Loiret Cyclisme

 

  • Comment se sont passés ces premiers mois de l’année pour toi ; sur route ?

J’ai commencé ma saison aux Boucles du Haut-Var mi-février. Je n’avais jamais débuté aussi tôt, mais j’étais ravi de pouvoir le faire avec toutes les incertitudes qui planaient à ce moment-là. J’avais fait un gros travail foncier et je pense que je n’avais pas assez récupéré en arrivant dans le Sud. J’ai beaucoup souffert, mais je suis resté positif en me disant que tout cela me servirait pour la suite.

J’ai manqué de réussite sur le Grand prix de Saint-Hilaire-du-Harcouët où j’étais idéalement placé avant qu’un coureur ne fasse un écart et tape ma roue avant, ce qui m’a fait sans doute perdre un potentiel top 5. Ensuite, je suis parti en Égypte pour le championnat d’Afrique sur piste, et j’ai mis un peu de temps à me remettre dans le rythme, aussi bien physiquement que mentalement, surtout que le choc thermique a été très intense. Mais la course de Saint-Marcel fin mars s’est bien passée pour l’équipe et pour moi-même et je compte me servir de tout cela pour aborder la suite de la saison.

 

  • Sur piste ?

J’ai participé au championnat d’Afrique sur piste au Caire mi-mars. C’était mon sixième championnat continental, ce qui m’a fait prendre conscience à quel point le temps est passé depuis ma première sélection. J’y suis allé avec l’espoir de remporter au moins un titre, peu importe la discipline. Mais j’étais lucide sur le fait que ma préparation n’avait pas du tout été optimale : je n’ai pu rouler que quelques fois sur piste pendant toute la période hivernale si bien que j’ai dû improviser des séances avec mon vélo de piste sur la route. En plus, le mois de mars n’est généralement pas celui où ma condition physique est la meilleure, mais j’espérais que les premières courses sur route auxquelles j’ai participé me permettrait de compenser.

Je suis rentré chez moi avec trois médailles d’argent et deux en bronze, et surtout très exténué. Je n’avais jamais fait autant de disciplines sur un seul championnat (le scratch et la poursuite par équipes le premier jour, la course aux points le deuxième, l’élimination et la madison le troisième et l’omnium le dernier jour). Je suis passé tout près d’un titre, mais à ce niveau tout se joue sur des détails. Les sud-africains avaient bien préparé ce championnat, mais nous étions malgré tout au niveau pour gagner. Nous reviendrons l’année prochaine avec une meilleure préparation et une motivation toujours plus grande.

Voyager en pleine pandémie et surtout en plein confinement a été très particulier pour moi. Déjà avec toutes les procédures administratives pour pouvoir prendre l’avion, sans compter les nombreux tests PCR, mais globalement cela ne nous a pas trop affecté. D’une façon générale, les règles sanitaires sont moyennement respectées en Égypte. J’étais à la fois circonspect, mais aussi très heureux de enfin pouvoir souffler et de revivre « comme avant ». J’ai même appelé mes parents, attablés à un restaurant tellement cela me paraissait fou pour moi. Le voyage s’est très bien passé et j’ai accumulé beaucoup de souvenirs là-bas.

Être en sélection est une immense fierté, j’en mesure la chance un peu plus à chaque compétition. Cette année, des routiers nous ont rejoint pour courir avec nous sur la piste puisque le championnat d’Afrique sur route avait lieu juste avant le nôtre. J’ai ainsi pu côtoyer Youcef Reguigui, qui est très certainement le plus grand champion cycliste que notre pays ait connu. J’ai eu un peu mal à réaliser que nous serions coéquipiers, moi qui, pendant des années, a regardé à la télé ses exploits. J’ai énormément appris à ses côtés, c’est quelqu’un d’extrêmement rigoureux et professionnel mais aussi très ouvert et amical.

 

Photos : Special photographer – Fédération Algérienne de Cyclisme

 

  • Puis au-delà du cyclisme ?

Je suis actuellement très concentré sur l’aspect sportif, un peu moins sur le reste, comme si j’étais dans une bulle. Bien évidemment, je ne reste pas cloisonné, j’essaye de m’occuper comme je peux, je prends des nouvelles de mes proches, je regarde les informations, je regarde des documentaires, des séries. Mais avec la fermeture de la plupart des lieux de vie, c’est difficile de pouvoir réellement s’aérer et penser à autre chose.

 

  • Ces jours-ci, tu vas t’autoriser une coupure bien méritée afin de reprendre des forces pour la suite. Comment vas-tu l’aborder et quelles seront tes activités ?

En vérité, je ne fais qu’une microcoupure de quatre jours dont les trois premiers jours du jeûne du mois du Ramadan. Je sens que j’en avais besoin physiquement et mentalement, mais aussi pour aborder au mieux ma préparation pour la suite de la saison. Le Tour du Loiret mi-mai a été officialisé, et cela fait des mois que je m’entraîne en préparant cet objectif qui me tient réellement à cœur.

Je laisse toujours trois jours à mon corps pour qu’il puisse s’adapter au jeûne qui dure de l’aube (aux alentours de cinq heures du matin actuellement) au coucher du soleil (entre 20h30 et 21h). C’est une période très importante d’un point de vue spirituel, qui dépasse la simple privation de nourriture et de boisson. C’est également une période qui me permet de regagner beaucoup d’énergie, le jeûne étant bénéfique pour la santé.

Lorsque je courrais au niveau régional, je me contentais simplement d’entraînements légers avant de rompre le jeûne. Désormais, c’est toute une organisation. J’effectue des séances en endurance et quelques rappels de musculation en fin de journée, et je laisse les séances plus intenses pour le soir, environ une heure et demie après la fin du repas. J’organise même des plans alimentaires en fonction de la journée d’entraînement prévue.

Lorsque je pouvais courir pendant le Ramadan, je privilégiais des courses en fin de journée sur des circuits plats, comme des nocturnes. J’en ai même gagné une en 2019 alors que je jeûnais. Cette année, la question risque de ne pas se poser avec toutes les annulations en chaîne, ce qui me permettra de mieux me concentrer sur mes entraînements et de pouvoir adapter ma récupération.

Au niveau de l’alimentation, c’est très certainement la période où je suis le plus strict, bien loin des clichés que nous pourrions avoir durant ce mois. J’évite de me goinfrer et je mange le plus sainement possible, en supprimant quasiment en totalité les « mauvais » aliments. Ce serait dommage de jeûner, ce qui permet à notre corps de se régénérer, pour ensuite tout gâcher en un seul repas. Je mange trois fois entre le coucher du soleil et l’aube du jour suivant, avec un premier repas assez basique au moment de la rupture, une collation juste avant de me coucher et un repas qui s’apparente à un petit-déjeuner avant l’aube. Le plus difficile est de se réveiller en pleine nuit, ce qui perturbe notre sommeil, mais avec l’habitude tout rentre dans l’ordre.

 

  • L’actualité du milieu de la Petite Reine a notamment été remuée par des à côtés de courses, comme les nouvelles règles de l’UCI plus ou moins bidons, ainsi que par les propos malveillants qu’a reçu Nacer Bouhanni. Quels sont tes avis sur ces sujets aussi désolants que délicats ?

J’ai forcément suivi tout cela ces derniers jours, j’étais notamment devant ma télé lors de la disqualification de Michaël Schär sur le Tour des Flandres. Que l’UCI s’engage pour la sécurité des coureurs ainsi que pour l’environnement est forcément une bonne chose, mais tout ce processus doit se faire dans un certain pragmatisme.

En l’occurrence, je pense qu’ils se sont trompés de combat, et cela va être difficile de leur faire admettre cette erreur. Quand les choses sont bien faites, comme le changement des barrières au niveau des lignes d’arrivées ou les zones de collectes des déchets, il faut le mettre en avant. Donc je considère que lorsque les choses sont mal faites, il faut aussi le mettre en avant et se faire entendre. D’ailleurs, je trouve cela symptomatique d’un manque d’écoute de l’avis des coureurs sur ces questions. C’est un peu « pédale et tais-toi ».

J’ai également suivi ce qui s’est passé autour de Nacer Bouhanni. Je me suis senti très mal pour lui, à la fois parce que je suis un grand fan de ce coureur, qui est une vraie source d’inspiration pour moi, mais aussi parce que je trouve ça désolant que ce genre de choses puisse se produire en 2021. Il y a eu une faute, il est possible de débattre sur celle-ci, mais en arriver là…

Malheureusement, je crois savoir que ce n’est pas la première fois que cela lui arrive. C’est un peu le pain quotidien des réseaux sociaux où il est possible de déverser sa haine pratiquement sans pouvoir y répondre. Je lui apporte bien évidemment tout mon soutien, et j’espère que l’UCI se montrera à la hauteur de ces enjeux, d’autant plus que l’internationalisation du cyclisme est en marche.

 

  • Toi qui cours en France en étant d’origine algérienne, as-tu déjà été confronté à des propos racistes dans les pelotons ou en dehors ?

Très sincèrement, j’ai été confronté à 99% de gens bien, avec qui je n’ai eu aucun problème. Pour le 1% restant, c’est plutôt des blagues assez douteuses ou des remarques désobligeantes. Maintenant, je n’ai pas envie d’adopter un discours victimaire qui serait plus décrédibilisant qu’autre chose. Encore une fois, il faut mettre en exergue les comportements nauséabonds tels que nous avons pu les voir avec Nacer Bouhanni, les combattre et les punir. Mais la majorité est contre le racisme et l’exprime au quotidien, sereinement.

Maintenant, notre sport véhicule des valeurs très positives et encore une fois, le cyclisme est devenu très international, je m’en rends compte à chaque fois que je participe à une grande compétition. Lors du dernier championnat du monde sur piste, il y avait plus d’une soixantaine de nations représentées, de tous les continents. Tout ce beau monde était réuni en un même lieu, pour la même passion, avec le même enthousiasme. Selon moi, c’est cela que nous devrions mettre en avant, et c’est comme cela que nous gagnerons ce combat contre la haine pour lequel notre sport n’est malheureusement pas épargné.

 

  • Parlons d’avenir et de perspectives bien plus réjouissantes ! Dans l’idéal, comment souhaiterais-tu que se déroulent les prochains mois à venir ?

Dans l’idéal, j’aimerais que nous puissions recourir le plus tôt possible, et je pense également à tous ces coureurs amateurs qui n’ont pas couru depuis pratiquement un an désormais.

Personnellement, j’espère remplir mes objectifs aussi bien sur route que piste. Je vais avoir un calendrier chargé, avec notamment plusieurs voyages lointains : je serai notamment en Colombie pour la dernière manche de coupe des nations ainsi qu’au Turkménistan pour le championnat du monde, ainsi que d’autres courses UCI en Europe. Sur la route, j’aimerais gagner sur une course élite et valider tout le travail effectué cet hiver. Et d’une façon générale, prendre le plus de plaisir possible sur le vélo, en France et à l’étranger.

 

  • Quels sont ces petites phrases/activités/éléments qui te rendent joyeux au quotidien et qui te permettent d’être positif en toutes circonstances ?

Le simple fait de pouvoir être sur mon vélo me rend joyeux, surtout lorsque nous repensons à l’année dernière et à ces heures passées sur home-trainer. D’une façon générale, être en bonne santé, aux côtés de mes proches qui le sont également, et pouvoir continuer à vivre ma passion même de façon dégradée me rend joyeux et les perspectives d’avenir me permettent de rester positif. Je n’ai jamais été d’une nature fataliste, et je pense que cela m’aide durant cette période.

 

  • Pour conclure ce Plat, souhaites-tu ajouter quelque chose ?

Je souhaite à toutes celles et ceux qui le pratiquent un bon mois de Ramadan, et je souhaite d’une façon générale à tout le monde d’avoir la santé, qui est la plus grande richesse que l’on ait. Et à toutes celles et ceux qui souffrent psychologiquement de cette situation, je leur souhaite de rester positif et de toujours garder l’espoir, car après la pluie, le beau temps.

 

Crédit : Special photographer

 

 

Merci à Yacine Chalel pour le partage de ses aventures racontées et partagées avec passion. On te souhaite de continuer à pédaler, voyager, échanger et écrire avec le sourire ! Au plaisir de te retrouver prochainement pour la suite de tes belles histoires !

Rédigé par

Natacha Cayuela - Coordinatrice pour cyclistes

Passionnée de vélo depuis ses dix ans, Natacha est la fondatrice du site qui ravitaille le cyclisme. Elle est également l'auteur du roman La Bonne échappée, où l'univers de la Petite Reine est mis à l'honneur.